“La maison du retour” de Jean-Paul Kauffmann (2007)

Qu’il s’agisse de remonter la Marne, de parcourir les étendues enneigées de la bataille d’Eylau ou de traquer les églises de Venise, Jean-Paul Kauffmann (1944 – ) est un conteur formidable. “La maison du retour” occupe néanmoins dans ma “bibliothèque idéale” une place à part.

Journaliste, il est enlevé par le Hezbollah au Liban en 1985 et détenu dans des conditions terribles pendant trois ans (son compagnon de captivité, le sociologue Michel Seurat, meurt faute de soin). Il évoque dans ce livre l’épreuve endurée avec beaucoup de pudeur : “on peut dépulper à jamais un homme, lui enlever cette substance sensitive et moelleuse qui savait autrefois rendre si savoureux le goût des choses. ” Mais c’est son retour à la vie qu’il entreprend de décrire étape par étape : “j’avais connu l’âge de fer : trois années fantômes. J’aspirais à la paix, à la substance et à la fluidité des choses”.

Il se met en quête d’une maison, isolée et rustique, et la trouve dans les Landes : “un paysage ponctué par des vides, au milieu des pinèdes mais jamais borné”. Le coup de foudre est immédiat : “C’est elle que je n’ai cessé de chercher. Tout de suite, j’apprécie son maintien élégant et modeste. Devant moi, la maison dont je rêve une vaste retraite campagnarde, des arbres, beaucoup d’arbres, dont deux immenses platanes qui déploient leur ligne brisée autour de la façade. Et la forêt de pins qui entoure sans étouffer.”

L’amateur éclairé de Bordeaux et de cigares livre une description sensuelle de la beauté qui l’entoure : “l’aiguille de lumière s’aggrandit chaque jour. Le rayon déborde et se déverse maintenant en gros bouillons dorés dans la chambre. L’écaille rougeâtre des tilleuls s’est changée en lamelles menues et amollies, presque cotonneuses. Les feuilles du magnolia que j’ai planté se sont épaissies, elles ont à présent une consistance cuireuse. L’air exhale une subtile odeur de tourbe et de compote …”

Nous partons à la découverte de son airial, des oiseaux qui colonisent ses haies et des chevreuils qui grignotent ses plantations, nous rencontrons un voisin singulier avec lequel il déguste des ortolans “sous la serviette”, rehaussés d’un fabuleux Palmer 1961 (“une grande bouteille est pour une large part affaire d’imagination”). Nous l’accompagnons dans ses contemplations, dans l’exigeante maîtrise du temps depuis le fond d’un hamac : il savoure alors “une forme de nonchalance scrutatrice, attentive aux nuances infinies du ciel, aux sautes du vent, aux mouvements des feuilles, aux phrases qui composent le livre aimé.” Sans oublier le chant des oiseaux et les stridulations des grillons.

Dans les derniers chapitres, écrits seize années après ce retour à la vie et l’acquisition de cette maison qui l’a rendu possible, Jean-Paul Kauffmann nous quitte avec une conclusion magnifique : “Mon existence est portée plus que jamais par le désir de vivre, de sentir, de regarder. Surtout de regarder car je suis devenu un spectateur irrassasiable du monde. Cette disposition, je la dois à la maison dans la clairière … Maintenant la course des jours s’accélère, la carcasse geint, l’esprit se dégrise, la parole rabâche, mais l’âme garde intacts son ardeur et son élan vital. Rien ne peut résister à une telle alacrité.”