
C’est en apostrophant le directeur d’une agence de photoreportage dans l’ascenseur d’un grand hôtel où il était groom que Pierre de Fenoÿl (1945-1987) fit basculer sa vie dans la photographie. Il aiguisa ensuite son oeil en gérant les archives de Cartier-Bresson et commença à prendre ses premières photos. Une année aux Etats-Unis en 1971 lui permet de se nourrir des influences des plus grands de l’époque : Klein, Arbus, Winogrand et Friedlander. Revenu en France, il fonde une agence, organise des expositions tout en continuant à arpenter les rues de Paris dès potron-minet.
Son style se précise : il capte des paysages vides de tout personnage, toujours en noir et blanc, en insistant sur les contrastes. En 1983, la Délégation Interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale (plus connue sous l’acronyme DATAR) lance une Mission Photographique pour établir un état des lieux du paysage français. Fenoÿl en fait partie et il s’installe dans le Tarn en 1984.
Il bat la campagne des journées entières, observe chaque vallon, chaque plaine, les trouées dans une haie, les ondulations d’un champ, le saillant d’un clocher ou d’un cyprès. Il “reçoit”, précise-t-il, le moment où la lumière inonde un champ, où les nuages apportent de la gravité, où le vent agite les branches. Il n’hésite pas à affirmer que “La marche à pied est la seule école de photographie” pour mettre l’accent sur la nécessité de s’immerger dans son sujet. Dans ses clichés, les chemins et les fils électriques constituent les seules traces de la civilisation moderne. La composition de ses images renvoie aux peintres paysagers italiens ou flamands.
Le 4 septembre 1987, Pierre de Fenoÿl est terrassé par une crise cardiaque. “La vision photographique est un regard à travers le visible vers l’invisible, il s’agit d’une aptitude à se glisser à travers l’ordre caché des choses“, expliquait-il avant d’ajouter, “on peut dire du photographe qu’il sonde l’imprévisible en errant à égale distance de l’artiste (qui pratique un art, qui a le goût du beau), du sourcier (qui possède le don de découvrir des sources souterraines), du médium enfin (qui sert d’intermédiaire entre les hommes et les esprits)“.