
C’était un gentil, un sensible, un tendre avec lequel j’aurais aimé discuter de la campagne, d’un bouquin ou simplement du temps qu’il fait. Eric Holder (1960 – 2019) nous a laissé un recueil de chroniques (toutes parues dans la revue “le matricule des anges”) qui pallie son absence. Pour cet écrivain minimaliste et amoureux de la province, le bonheur se savoure à petites lampées, comme le café serré du matin sur un zinc ou le verre de blanc au fond d’une cave de tuffeau, dans la chaleur de l’été.
Il avait déserté l’école très tôt, exercé mille métiers manuels et ouvert une bouquinerie, tiré le diable par la queue le plus souvent. Une éducation “baba cool” au soleil du midi l’avait doté d’une capacité à s’émerveiller, du chant des oiseaux, des blés qui frissonnent et des femmes. Il avait aussi appris que l’essentiel se trouve dans les rencontres, amicales, amoureuses ou littéraires. Avec un tel bagage, il a tenté de résister vaille que vaille aux assauts du monde moderne.
Avec ses auteurs préférés (Calet, Hardellet, Vialatte, Dhôtel ou Fargue), il partageait un style élégant et un sens de l’épure, la délicatesse commune à ceux qui enregistrent un monde qui bientôt ne sera plus : “A l’embouchure de Saint-Christoly, l’usine désaffectée Skawinski, souffre et sulfate de cuivre, monte la garde en costume rouge brique sur le débarcadère où ne roule plus rien. A la Maréchale, un langoustier, des canots qui n’en finissent pas de rouiller, incrustés dans la rive, sous les appontements démolis et gagnés par la selve qui s’enroule en berceau au-dessus des rambardes.”
La mélancolie ne le quitte jamais, encore moins quand “le soir tombe mauve, dans le feuillage d’une fin de printemps” ou que “les feuilles des hauts peupliers montrent leurs dessous dans le vent. L’aubépine endimanche les haies, les roses baissent la tête, passé l’orgie“.
Quand le désespoir guette, qu’il ne voit plus qu’“un grand trou sombre” et que les flacons s’accumulent, les amis sont là parce qu’“à la campagne, on interroge les traces, on déchiffre les changements“. Et puis il y a Delphine, “la femme de sa vie“, qui lui a donné l’envie d’aimer toutes les autres, ou presque : “On songe à la fidélité, qui n’est pas une vertu, n’a rien d’une qualité, mais serait peut-être – se dit-on en levant les yeux au ciel qui est, lui-même, au bord de pleuvoir – le signe d’une vie bien remplie”.
Lire les chroniques d’Eric Holder, c’est s’interroger sur “les infimes dentelures que constitue l’horlogerie des destinées”. Les images surgissent, les émotions nous gagnent, le temps s’étire et il est encore temps de “plonger des ancres“.