
A chacun sa madeleine de Proust ! Quand je regarde “Pleure pas la bouche pleine“, je me rappelle mes dix ans et mes vacances à la campagne. Les filles arborent des “dos nus”, portent fièrement un foulard dans leurs cheveux et répètent inlassablement la chorégraphie du “lundi au soleil” en agitant des foulards. Je joue aux osselets, j’ai chaud dans mes baskets “Palladium” et je rêve d’un vélo de course avec un double plateau. Le goût de l’Antésite dans la France de Giscard, avec sa prospérité passée et son insouciance. C’est du moins ce que j’ai lu plus tard car à l’époque le coût de la vie et la hiérarchie des priorités, je les mesure avec un seul étalon, le prix du Malabar.
Revenons à Pascal Thomas, cinéaste “dilettante” pour beaucoup, “fumiste” pour certains, ce qui ne l’a pas empêché de recevoir les honneurs de la Cinémathèque en Octobre 2023. Le premier long-métrage de ce journaliste de formation, “les Zozos” (1972), narre la traque amoureuse de lycéens français partis en auto-stop en Suède. “Amoureuse” est sans doute de trop. Le film est un succès et Pascal Thomas trouve rapidement les fonds pour enchaîner sur “Pleure pas la bouche pleine” . Le scénario dont il est tiré s’intitulait “Promenade champêtre avec une jeune fille de bonne famille dont les rougeurs délicates trahissent légèrement l’émoi profond“. Soit l’histoire d’une jeune fille de Saint Chartres dans la Vienne, le pays natal de Thomas, qui passe à l’âge adulte.
La réalisation de Pascal Thomas est construite autour de l’idée simple que la caméra suit le personnage. Rien de plus. D’où un recours fréquent aux plans-séquences et une fluidité qui donne à ses films un ton très réaliste, un ancrage dans le réel que l’on retrouve chez Pialat mais sans la bonne humeur inhérente aux films de Thomas. Dans “Pascal Thomas, souvenirs en pagaille” (2024), il développe sa “méthode” : “les acteurs nourrissent le film par leur spontanéité et la mise en condition que j’ai pu susciter. Il s’agit de saisir l’instant de grâce. La direction d’acteurs n’existe pas“. Encore faut-il disposer d’acteurs qui acceptent d’improviser, au débotté ou presque. C’est assurément le cas d’un Jean Carmet et sa gouaille triste, d’un Daniel Ceccaldi et sa fausse bonhomie, d’un Bernard Menez en dadais cataclysmique.
“Il filme comme il en a envie” résume son ami et ardent défenseur Eric Neuhoff dans “Sur le vif” (2020), avant d’ajouter joliment, “la tristesse existe, bien sûr. Il s’agit de la repousser du pied, de la recouvrir du manteau de la nostalgie“.