“A la sortie de l’école dans un village de la côte Nord Vietnam – 1969 ” de Marc Riboud

Marc Riboud (1923 – 2016) est né dans une famille de la grande bourgeoisie lyonnaise. Il s’engage dans le maquis du Vercors en 43 puis sort diplômé de l’Ecole Centrale après la guerre. Quand il avait 14 ans, son père lui avait donné le Vest Pocket noir à soufflet, fabriqué par Eastman Kodak, avec lequel il avait pris des clichés depuis sa tranchée. Convaincu qu’il ne s’épanouira pas dans une carrière d’ingénieur, il opte pour la photographie. Il entre dans la prestigieuse agence Magnum grâce au parrainage d’Henri Cartier-Bresson et de Robert Capa. Cartier-Bresson, dont il est le disciple et qui lui a dit qu’il était “né avec un compas dans l’oeil“. Ce qui explique sans doute la géométrie sophistiquée de son premier cliché célèbre, “le peintre de la Tour Eiffel” en 1953, retenu par le magazine “Life”, le Graal des photographes de l’époque.

En 1955, Marc Riboud démarre au volant d’une vieille Land Rover un “Grand Tour” en Asie qui l’emmènera en Inde, puis en Chine et au Japon. Un voyage initiatique de deux années, “à la paresseuse”, en prenant le temps de s’immerger dans les cultures et d’aller à la rencontre des populations locales. Il trouve alors sa vocation : “je ne suis pas un globe-trotteur mais un flâneur qui aime photographier le plus intensément possible la vie la plus intense. En y prenant du plaisir.” La composition de ses clichés devient moins géométrique et plus sensuelle, avec les contorsions d’un voyageur chinois perdu dans ses rêveries ou l’attitude alanguie de japonaises bercées par le roulement d’un train.

Au sein de Magnum, Marc Riboud va s’imposer comme un portraitiste talentueux (Chou En-lai, Mao Tsé-toung, mais aussi Saint- Laurent ou Marguerite Yourcenar) et couvrir des points chauds comme la fin de la guerre d’Algérie ou la révolution iranienne de 79. Il est photoreporter assurément mais plus intéressé par la forme que par l’événement ou le sujet. A l’exception, peut-être, de la guerre du Vietnam.

Fin Décembre 1966, il embarque sur l’USS Enterprise, un porte-avion nucléaire américain dont les dizaines d’avions bombardent le Nord Vietnam. L’expérience impressionne tellement Marc Riboud qu’il envoie un article au Monde (publié le 7 avril 1967) dans lequel il confie son effarement devant l’endoctrinement des pilotes et d’un commandant qui affirme : “Nos avions sont maintenant pourvus d’un équipement électronique d’une si haute sophistication et d’une si grande précision qu’ils ne peuvent pas se tromper. ” B.D. , un jeune pilote âgé de 23 ans et originaire de Milwaukee, se confie au photographe : “Ce matin il faisait très mauvais sur l’intérieur, alors nous avons survolé la côte à plusieurs reprises. J’ai vu des jonques, des petits bateaux, par centaines. Nous avons tiré sur de nombreux petits bateaux, nous en avons détruit beaucoup.” Et Riboud complète : “Le communiqué dans la presse, le lendemain, disait : “Deux cent trente-trois embarcations détruites sur la côte du Vietnam du Nord”.

Cette même côte du Vietnam du Nord où Riboud se rend en 1969. Son célèbre cliché de “la jeune fille à la fleur” a immortalisé une manifestante pacifiste face aux baïonnettes de la Garde Nationale à Washington en 1967. Il a convaincu Hô Chi Minh que l’opinion publique américaine jouerait un rôle dans les négociations engagées à Paris pour mettre fin au conflit. Marc Riboud reçoit l’autorisation de photographier les habitants de Hanoï qui vivent au rythme des bombardements, réparent et reconstruisent entre deux alertes, s’enterrent pour travailler et tentent d’oublier la guerre le dimanche au bord du “petit lac”. Ses photos, publiées en 1970 dans un ouvrage intitulé “Face of North Vietnam“, montrent pour la première fois aux américains les visages de ceux sur lesquels des centaines de tonnes de bombes sont déversées chaque jour. Les enfants agglutinés “A la sortie de l’école dans un village de la côte Nord Vietnam” font partie de cet ouvrage. Leur regard répond à la question posée par le pilote B.D. en conclusion de son échange avec Marc Riboud : ” Vous voyez, quelquefois je me pose des questions … ces hommes, sur ces jonques, ce sont certainement des pêcheurs pauvres, analphabètes … et bien, quand ils nous voient arriver à plus de 2000 à l’heure au ras de leurs têtes, je me demande vraiment ce qu’ils doivent penser de nous ! …”

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