
“Distaches” ou “Putain de Mort” dans sa version française, est le livre le plus cité sur la guerre du Vietnam. Il est tiré des articles écrits par Michael Herr (1940 – 2016) pour la revue “Esquire” au cours des dix-huit mois qu’il a passés au Vietnam. “Esquire” était un magazine de mode pour homme mais ce n’était pas un problème car en 1968 plus de 600 journalistes pouvaient prendre des hélicos comme des taxis pour couvrir les combats à Hué ou Khe Sanh, se fondre dans la jungle avec les Forces Spéciales, ou bien encore assister aux conférences de l’ambassadeur américain, siroter un cocktail sur la terrasse de l’hôtel “Continental” en relisant Graham Greene … Une époque inouïe, un “open bar” resté unique pour les reporters, les photographes, les aventuriers attirés par l’odeur de la guerre, voulant tous se mesurer avec elle et pour certains, se perdre en elle.
“Attention! Là où tu vas tu ne peux rien gommer” lance un sergent noir au jeune Herr qui se présente comme “écrivain” à son arrivée au Vietnam. Avertissement inutile car il ne va rien taire, de ses peurs, de ses hallucinations et de ses rencontres avec les GI. Tout est bon pour fuire Saïgon, “entrepôt et arène, aspirant l’histoire, la recrachant comme des toxines, Merde, Pisse et Corruption”. Il choisit d’aller “traîner avec les soldats”, de recueillir les témoignages de trouffions “citoyens de troisième classe”, tous égarés dans un conflit lunaire : “quelquefois les histoires étaient si récentes que le conteur était en état de choc, quelquefois elles étaient longues et compliquées, quelquefois tout tenait en trois ou quatre mots sur un casque ou sur un mur”. Ils inventent de nouveaux codes, un nouveau langage (“Mec, je me suis fait écailler, maintenant je suis tout lisse“) pour fuir leurs cauchemars, tenter de vivre avec ce qu’ils ont vu. L’entreprise de destruction est infernale : “notre machine dévastait tout et n’importe quoi. Elle pouvait tout sauf s’arrêter. Comme l’a dit un major américain, accouchant d’une parole historique : “nous aurons dû détruire Ben Tre pour la sauver” .”
Michael Herr a la lucidité de reconnaitre l’emprise de la guerre sur sa vie : “peut-être ne peut-on pas aimer la guerre et la haïr au même moment, mais parfois ces émotions alternent si vite qu’elles se mêlent en un disque stroboscopique qui monte si haut que la guerre devient un vrai trip, comme c’est marqué sur tous les couvre-casques”. Une emprise combattue à coups de whisky, de pipes d’opium et autres substances, avec en fond sonore les bandes d’Hendrix ou des Stones.
Un épisode résume le rapport dégoût-fascination qu’il entretient avec cette guerre. Il rencontre David Greenway, un correspondant de Time, dans la citadelle dévastée d’Hué : “Nous aurions continué à rire en remontant cette rue si ce n’est que vers la fin nous devions passer devant un endroit terrible, une maison effondrée par les bombardement et d’où était tombée une jeune fille qui était étendue, morte, sur un tas de planches brisées. Le toit brûlait et les flammes s’approchaient de ses pieds nus. Elles allaient l’atteindre dans quelques minutes et de l’endroit où nous étions cachés nous ne pourrions pas éviter de la voir. Nous nous sommes dit que tout valait mieux que ça et nous avons continué à courir, mais seulement après que David eut fait demi-tour, mis un genou en terre et pris une photo.”
