
Quand il rentre en studio pour enregistrer une version de La Marseillaise, Django Reinhardt (1910-1953) s’attaque à un monument sacré.
C’est dans la nuit du 25 au 26 avril 1792 à Strasbourg, ville-frontière menacée par la contre-révolution, qu’un capitaine du génie, Joseph Rouget de Lisle, compose “le chant de guerre pour l’armée du Rhin”. Un chant qui appelle à la mobilisation nationale et révolutionnaire et qui, repris et popularisé par les fédérés marseillais, va prendre le nom de “Marseillaise”. Son pouvoir mobilisateur l’impose dans les temps de détresse nationale, du carré de la Vieille Garde à Waterloo aux barricades de 1830 et 1848, des massacres de la Commune à l’hécatombe de 14-18. Rouget de Lisle, qui n’était pas connu pour son humour, avait prédit : “Quand ça va mal … ils chantent la Marseillaise !“.
Devenu chant national avec une loi du 14 février 1879, La Marseillaise s’est vue concurrencée dans les luttes sociales de l’entre-deux-guerres par l’Internationale. Mais le Front Populaire la réhabilite et la Résistance puis la Libération la régénèrent. Comme l’écrit Michel Vovelle dans le premier tome des “Lieux de Mémoire”, La Marseillaise, “c’est l’expression volontaire d’une conscience nationale … un de ces chants qui appartiennent à l’humanité”.
Revenons maintenant à ce Django Reinhardt qui veut mettre à sa sauce une pièce maîtresse du patrimoine national. Qui est-il ? Un guitariste qui avait percé dans les années 30 au sein d’un groupe, le Quintette du Hot Club de France. Sa virtuosité et la fluidité de son style sont incroyables, d’autant plus qu’il a perdu l’usage de deux doigts de sa main gauche dans l’incendie de sa roulotte. Il a mis au point une technique originale pour jouer avec son index et son pouce, une “pince” qui l’a rendu célèbre. Il invente le “jazz manouche”, enchaîne les succès et se produit dans toute l’Europe avec des musiciens aussi célèbres que Benny Carter et Coleman Hawkins.
Pendant la guerre, il continue de jouer et compose en 1940 un titre resté célèbre, “Nuages”. Il part en tournée en Algérie, essaie en vain de passer en Suisse et finit par ouvrir un club à Paris. Paris, c’est la ville de détente pour les soldats allemands qui apprécient sa musique. D’aucuns diront que Reinhardt sonnait trop allemand pour qu’il soit inquiété. Tous les tziganes et les manouches n’ont pas eu cette chance.
Toujours est-il qu’en 1946, il se rend à Londres pour enregistrer quelques morceaux. Il y retrouve son acolyte, Stéphane Grapelli, le violoniste du Hot Club de France, et trois musiciens anglais : Jack Llewelyn, Allan Hodgkiss et Coleridge Goode. Une entente forcément cordiale.
J’adore cette version de La Marseillaise, baptisée prudemment “Echoes of France”. Ses premières mesures nous rappellent qu’en 1946, l’écho tragique de la guerre résonne encore. Mais succède un swing qui appelle à la vie et au retour des jours heureux, aux dimanches ensoleillés à la campagne et aux conversations animées autour d’une bonne table. Très exactement ce à quoi rêvaient des millions de français de l’après-guerre. En répondant aux besoins de l’époque, cette variation de la Marseillaise les interpellait … dans un grand sourire.
J’allais oublier, en Rromanès, la langue des Roms, Django signifie “je réveille”.
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