
Dans ses “Lettres à un jeune poète“, Rainer Maria Rilke exhortait à fuir “les grands sujets pour ceux que votre quotidien vous offre“. Message reçu cinq sur cinq par Emmet Gowin (1941 – ) qui va consacrer une grande partie de son oeuvre photographique à sa famille, sa femme Edith, le coeur de son univers créatif, ses enfants, la famille de sa femme, un véritable clan avec oncles, tantes, cousins, quatre générations rassemblées dans cinq maisons à Danville, Virginie.
Fils d’un pasteur méthodiste, Emmet Gowing reçoit une éducation stricte et développe très tôt un amour de la nature. Il étudie la photographie et trouve ses premières influences chez Robert Frank, Henri Cartier-Bresson, Walker Evans et l’un de ses professeurs, Harry Callahan. Dans sa thèse de troisième cycle, il annonce que les photographies sont pour lui “un moyen de retenir, intensément, un moment de communication entre un être et un autre”. Il complètera plus tard ce postulat en se rapprochant de l’héritage du grand Eugène Atget (1857 – 1927) : “il a fait chaque photographie poussé par un amour profond, qui n’est pas seulement l’amour de la forme visuelle mais un amour qui assaille le bourgeois comme le chiffonnier. En un mot, pour Atget, photographier, c’était embrasser” ( dans “Emmet Gowin” , Mapfre 2013).
C’est pourquoi Edith, son épouse, va devenir sa muse, sa principale source d’inspiration pendant près de cinquante ans, comme Georgia O’Keeffe l’avait été pour Alfred Stieglitz ou Charis Wilson pour Edward Weston. Leur connexion émotionnelle s’établit dans les différentes pièces de la maison de Danville, à l’extérieur dans le verger ou dans une cabane, dans les moindres recoins et quelque soit la saison. Connexion également physique, le corps d’Edith devenant un thème récurrent qui permet à Gowin de revisiter la figure du nu féminin, lors des maternités d’Edith ou dans la vie de tous les jours .
Emmet Gowin espérait néanmoins que les photos de sa femme irait “au-delà de la chronique familiale“. C’est ce que je perçois dans “Edith with My Coat“. Ce cliché nous rappelle tout d’abord que Gowin est l’un des meilleurs tireurs de photographie de l’histoire. Réfugiée dans une veste de velours trop grande pour elle, Edith nous apparait fragile au centre d’un jardin où, j’imagine, la fraîcheur d’un matin ou d’une fin d’après-midi se fait sentir. Mais ce regard sérieux et pénétrant me fascine : si elle accepte l’instant photographique d’un regard presque effronté, ce qui se lit dans ses yeux va plus loin. Elle revendique et assume un rôle central dans l’ambition photographique de son mari, une oeuvre qui l’amènera à dévoiler l’intimité de sa vie, pour répondre à un défi commun : “Comment voyager le plus loin et le plus profondément ? En revenant là ou nous nous trouvons déjà.”
Dans la paix et le silence de Danville.