“Mutter Ridge, Nui Cay Tri, South Vietnam” de Larry Burrows (1966)

Quand je regarde cette photographie de Larry Burrows (1926 – 1971), je pense à Maurice Genevoix et à “Ceux de 14” , ses récits de guerre consignés entre 1916 de 1923, à la boue des Eparges et à sa réaction quand il apprend la mort de son ami Robert Porchon le 20 février 1915 : ” toute ma force déjà révoltée, m’a semblé s’agenouiller devant cette mort de mon ami”. Cinquante sept ans plus tard, dans un autre ouvrage, “La mort de près” (1972), il se souvient du jour où il fut blessé à trois reprises : « Que la mort frappât réellement, tout changeait. C’est l’immense différence entre voir un grand blessé et être vu, grand blessé. Le grand blessé ne se voit pas lui-même (…). À l’instant du dernier passage, le plus serein est celui qui s’en va. »

Troublante correspondance entre le récit du lieutenant d’infanterie français et l’image saisie par le photographe anglais, reconnu sur le plan international pour sa couverture de la guerre du Vietnam. La boue, les pansements souillés, l’ami qui veut s’agenouiller et que la main d’un autre soldat retient, la sérénité du visage de celui qui, blessé, gît et attend.

Issu d’un milieu modeste, Larry Burrows avait démarré au bas de l’échelle comme employé du magazine “Life” à Londres, chargé d’apporter les cafés dans la chambre noire. Timide, réformé pour cause de myopie, affligé d’un horrible bégaiement, il attend patiemment son heure, apprenant l’art de la composition et la technique de la lumière dans les musées. Envoyé couvrir le Vietnam à partir de 1962, il va s’imposer comme le photojournaliste de référence de ce conflit. Il est tout d’abord pionnier dans l’utilisation de la couleur, nécessaire selon lui pour apporter une touche “impressionniste” à ses clichés : il suffit de regarder “Mutter Ridge …” pour prendre conscience de l’importance du contraste entre la couleur misérable de la boue et le vert sombre de la vallée, de la tache de sang rehaussée du blanc du pansement au centre de l’image. Il est également réputé pour son perfectionnisme et pour prendre des risques afin d’être au bon endroit au bon moment : d’après son confrère David Snell, il était ” soit l’homme le plus courageux au monde, soit le plus myope tant il s’approchait chaque fois plus des combats. “

Nous ne savons pas grand chose sur la photo “Mutter Ridge ...” car Burrows prenait peu de notes pour rédiger ses légendes. Il s’en excusait dans ces termes auprès de l’un de ses employeurs : ” Désolé si mes commentaires ne correspondent pas aux normes mais, avec tous ces tirs autour de moi, je n’ai pas osé agiter un cahier blanc. “

Après neuf années consacrées au conflit vietnamien, il disparait en février 71 au-dessus du Laos avec trois autres photographes ( Henri HuetKent Potter et Keizaburo Shimamoto). Deux journalistes, Richard Pyle et Horst Faas, sont retournés en 1998 sur le lieu où l’hélicoptère transportant Burrows et ses collègues avait été abattu. Ils racontent leur recherche et rendent hommage à leurs amis dans un livre passionnant, “Lost over Laos” (2003).