“Panique” de Julien Duvivier (1947)

A chaque vision de “Panique” , film réalisé par Julien Duvivier (1896-1967) et sorti en janvier 47, je suis estomaqué.

Tout d’abord, je trouve que c’est un “film noir” français qui réunit tous les ingrédients du genre : une femme fatale, un tueur sans scrupule et manipulateur, une victime prise dans un étau qui se resserre implacablement, un éclairage “expressionniste” (les scènes de nuit sont superbes). Le scénario est tiré d’un roman de Simenon.

C’est ensuite un film d’après- guerre qui tranche avec la production du cinéma français de l’époque. A partir de l’automne 44, les films français célèbrent la concorde nationale et la fierté retrouvée grâce aux sacrifices des résistants et de l’armée française de la Libération. “La Libération de Paris” (1944) ou “la Bataille du Rail” (1946) sont de bonnes illustrations de cette réhabilitation patriotique. Mais le départ des allemands puis la fin de la guerre ne résolvent pas immédiatement tous les problèmes et les tensions réapparaissent : les prisonniers rentrent au compte-goutte et ont du mal à se réinsérer, l’unanimité autour de De Gaulle se fissure, les tickets d’alimentation sont toujours en vigueur, la pénurie est générale et les grèves se multiplient en 1947.

Seule fenêtre pour échapper à la grisaille quotidienne : le cinéma. 1947 est une année “record” pour le cinéma français avec près de 424 millions d’entrées, soit plus de dix entrées par habitant … Dans ce contexte, il est difficile d’aborder dans un film les plaies enfouies, les lâchetés de l’occupation et de l’épuration : la délation, la chasse à l’étranger et la justice expéditive. Or, c’est très exactement ce à quoi Duvivier va s’attaquer.

Choix courageux de sa part car Julien Duvivier a passé la guerre aux Etats-Unis. Il n’est pas le seul : Jacques Feyder, René Clair ou Jean Renoir, les autres “ténors” du cinéma français d’avant-guerre, ont choisi le même exil. Duvivier constate à son retour en 1945 que certains professionnels du cinéma lui reprochent de ne pas avoir enduré les épreuves de l’occupation quand d’autres l’associent à la principale menace pour leur industrie au sortir de la guerre, à savoir Hollywood … Autant dire qu’on ne lui pardonnera rien.

Mais Julien Duvivier a depuis longtemps exprimé son indépendance d’esprit et son pessimisme sur la nature humaine. Il a perdu pendant la guerre certains des acteurs qui l’avaient accompagné : Linen résistant et mort en déportation, Baur torturé parce que soupçonné d’être juif, Aimos tué sur les barricades de Paris. Gabin est revenu en France dans son char de la 2eme DB et Le Vigan, tombé dans la collaboration, a pris la fuite avec Céline à Singmaringen. Il a conscience des divisions, des zones d’ombre et des “non-dits”. Sa misanthropie s’en trouve renforcée. Alors dans “Panique”, il voit la possibilité de dire les choses crûment.

Pour conclure, j’ajoute que la performance de Michel Simon est exceptionnelle. Nous l’avons trop souvent associé à l’écran à des rôles de braillard, de rigolards ou de bougons. Dans “Panique”, il joue un personnage introverti, sensible. Et merveilleusement. A Viviane Romance qui lui demande pourquoi il vit à l’écart des autres, il répond : “ce n’est pas moi qui ai choisi de vivre en solitaire. Ce sont les autres qui se sont dérobés.”