
“Reason or Rhyme” est tiré d’un album de Bryan Ferry, “Bitter-Sweet“, sorti en 2018, après sa participation à une série Netflix “Babylon Berlin” dont l’action se déroule pendant la République de Weimar.
Bryan Ferry, né en 1945, auteur-compositeur-interprète et membre de Roxy Music, dont le vibrato plaît tant à ma chérie et qui est l’incarnation du raffinement de la pop britannique depuis plusieurs décennies, a toutes les qualités pour figurer dans cette édition consacrée à Daniel Cordier. Tout d’abord il est anglais, né en 1945 au Nord-Ouest de l’île. Quand Cordier arrive à Londres durant l’été 1940 , il est impressionné par le flegme des anglais à l’heure d’une invasion possible et profondément touché par la solidarité qu’ils témoignent aux Free French. Il restera anglophile à jamais. Bryan Ferry est également un esthète, passionné d’art conceptuel qu’il a étudié à l’école des Beaux-Arts de Newcastle, à l’instar de Cordier qui, après la guerre, deviendra un collectionneur et un galeriste spécialisé dans l’art moderne. Tous deux partagent enfin un côté “dandy” parfaitement assumé : quand Ferry affiche une élégance surannée, inspirée par les films du Hollywod des années 40, Cordier saute au-dessus de Montluçon en Juillet 42, dans une veste de tweed beige, avec des “chaussures d’un coloris orange et d’une forme unique fabriquées chez Trickers, dans Jermyn Street“…
Avec l’album “Bitter-Sweet“, Bryan Ferry adapte certaines de ses compositions “pop” à une ambiance “années 30”, soutenue par l’ajout de banjo et de saxophone ténor. Coïncidence troublante, les paroles mélancoliques de ses chansons résonnent étrangement avec “Alias Caracalla“, le livre dans lequel Daniel Cordier parle de son départ de la France défaite de Juin 40 et de son travail avec Jean Moulin.
Ainsi l’introduction d’ “Alphaville” (“Nobody knows you’re here, under deep undercover, you seem a bit afraid, why do you suffer ?”) résume la solitude du jeune agent du BCRA. Ses moments de doute et de découragement pourraient être retranscrits par les paroles de “While my heart is still beating” (“Where’s it all leading, Walk on air, Am I still dreaming, Words to spare, Lost in their meaning, I’d better be strong now”). La certitude d’un jeune homme de 20 ans de ne pas s’en sortir devant les arrestations qui se multiplient rejoint la noirceur de “Boys and Girls” (“No time to dream, No time to sigh, No time to kill, When love walks by and who’s that crying in the streets, Death is the friend I’ve yet to meet”). Cordier s’éloigne de ses compagnons de lutte à la fin de la guerre. Il s’évertue à vivre avec le souvenir de son héros, pour reprendre les paroles de “New Town” : “I’ve got to live down, Don’t want to dwell in history, that’s why I’m leaving now (…) The shadow hanging over me, I’ve got to tear it down” . Il retrouve son équipe par une froide nuit de Décembre 64, autour du catafalque de Jean Moulin, ses coursiers Lysette et Germain, sa secrétaire Laure Diebold, (“Chance meeting” : “I never thought I’d seen you again, where have you been until now (…), I know that time spent well is so rare”). Et c’est parce qu’il considère que Jean Moulin est diffamé qu’il s’attaquera à la réhabilitation d’un chef qui avait pris la dimension d’un “être mythique” : “All the promises I could give, The sun and moon and all the stars, they bow down to you whenever you pass, In a world of fading sadness” souffle comme une ultime promesse la superbe version de “Reason or Rhyme“.