
“Sympathie pour le diable” est un film franco-canadien réalisé en 2019 par Guillaume de Fontenay. Il est tiré du roman éponyme de Paul Marchand sur son expérience de reporter de guerre à Sarajevo.
Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovie, fut assiégée par les forces serbes de Bosnie entre le 5 avril 1992 et le 29 février 1996. Plus de 11 000 civils périrent, dont 1 500 enfants. Une moyenne d’environ 329 impacts d’obus par jour pendant le siège fut comptabilisée par les casques bleus de l’ONU.
Le film de Guillaume de Fontenay adopte une approche hyper-réaliste, fuyant tout esthétisme et s’interdisant le moindre sentimentalisme. Nous suivons Paul Marchand (interprété par Niels Schneider) dans son obsession de montrer la guerre sans fard, au plus près. Chaque matin, il se rend à la morgue pour recenser les morts, n’hésitant pas à les palper pour vérifier la rigidité cadavérique. Il va au contact des différents camps, toujours en première ligne, et fustigent les journalistes qui gardent leur distance (“les valeureux des bunkers d’hôtels”) ou mettent en scène le conflit pour “alimenter la bête“, faire du spectaculaire.
Le tour de force du réalisateur est de rester fidèle au roman de Paul Marchand (qui a d’ailleurs participé au scénario). Un tour de force car le roman, à la lecture parfois insoutenable, est le récit hallucinatoire d’un jeune journaliste (il est né en 1961) au travers de deux conflits urbains, Beyrouth et Sarajevo. Marchand est fasciné par la violence et la mort : “les pieds dans le sang, le nez dans les effluves de la mort. L’attraction du dégoût abolit la crainte, anesthésie la peur et là, au contact de la beauté de l’horreur, apparaît dans toute sa vérité l’instinct de l’humanité, l’oeuvre : les entrailles de la guerre (…) Au milieu des souffles chauds des explosions, dans l’odeur solennelle du sang et de la poudre, je m’épanouissais enfin, tranquille et curieux de tout. Des épreuves inouïes, des émotions jamais ressenties auparavant, la nouveauté était là, aux portes de l’abîme“. Il joue nécessairement sa vie à pile ou face chaque matin et gère ses peurs en mettant la mort au défi : pour lui, surtout pas de gilet pare-balle (“je n’en ai trouvé aucun à ma taille“), juste l’inscription dans un anglais appoximatif “Don’t shoot, Waste your bullets, I’m immortal” sur la Ford qu’il pilote à 150 km/h sur Sniper Alley en tirant sur son havane. Il construit un mythe pour les reporters qui l’entourent, s’en amuse et en joue. Mais il sait déjà qu’il n’a plus rien dans son jeu : “dépositaire de secrets répugnants que je conserverai toute ma vie, et qui un jour me feront vaciller, ma mémoire est une bombe à retardement. Un grand angle innervé de morts à l’infini”.
Paul Marchand a mis fin à ses jours le 21 juin 2009 à Paris.
