Tin Pan Alley (1890-1920) : Irving Berlin et Scott Joplin

Dans le New-York de 1900, les éditeurs de musique s’étaient regroupés à l’Ouest de la 28ème rue, entre la 5ème et la 6ème avenue. Des fenêtres de leurs bureaux s’échappaient les chansons jouées par les “songs pluggers“, des musiciens sans le sou qui devaient vendre leurs morceaux à des producteurs de spectacles ou à toute personne susceptible de les acheter pour les diffuser à leur tour. Les pianos droits, tous “bon marché”, émettaient un son métallique désagréable, si bien qu’un journaliste parla un jour de la “Tin Pan Alley” ou “l’allée des casseroles en métal“…

Les chansons, ballades et autres musiques à danser de Tin Pan Alley témoignent de ce début de XXème siècle où New-York absorbait l’énergie et les espoirs des migrants débarqués à Ellis Island ou des noirs fuyant les lois “Jim Crow” des états du Sud. Elles puisent leurs sources dans le ragtime, le blues des champs de coton, les ballades irlandaises, les opérettes populaires de la vieille Europe et les complaintes des klezmorim.

Irving Berlin (1888-1989), le compositeur de “Cheek to Cheek” du merveilleux film “Top Hat” (1935), avec Fred Astaire et Ginger Rogers, est entré depuis longtemps dans mon panthéon musical. Il est également l’emblème de la génération de compositeurs sortis de l’anonymat par Tin Pan Alley. Résumer la vie de ce musicien génial mort à 101 ans relève du défi. Revenons au New-York de 1900 où un jeune Israel Baline a douze ans. Il vit avec sa famille, qui a fui les pogroms d’Europe Centrale pour l’Amérique en 1892, dans les taudis du Lower East Side, au sud de Manhattan. Il vend des journaux à la criée et ambitionne de devenir un “serveur chantant” dans un restaurant “musical”. Rêve qu’il exaucera quelques années plus tard, après la mort de son père et après avoir survécu dans le Bowery, entre les bouges et les lupanars, en exerçant mille et un métiers. Il a appris la musique syncopée sur le tas et ne joue au piano que dans les tonalités de fa dièse. Qu’importe, il commence à improviser des airs et part bientôt à l’assaut des éditeurs de musique de Tin Pan Alley. Sa première partition est publiée en 1907, sous le nom d’Irving Berlin. Il connait ses premiers succès avant d’atteindre une renommée internationale avec “Alexander’s Ragtime Band” (1911). La légende est en marche.

Scott Joplin (1869-1917) est né au Texas. Ses parents sont pauvres mais parviennent à lui offrir un piano et des leçons. L’élève est doué et il part adolescent poursuivre son apprentissage musical à Saint-Louis, Missouri. Scott jouera dans les bars, approfondira ses connaissances en harmonie et composera en 1899 le célèbre “Mapple Leaf Rag“, vendu à un million d’exemplaires. De ce succès, Joplin ne retirera pas grand chose sur le plan financier, seulement l’association de son nom à un style musical : le ragtime. En 1903, il publiera une pièce “the Entertainer” (vous la connaissez, c’est le thème du film “L’Arnaque” sorti en 1973) et rejoindra Tin Pan Alley pour trouver de nouveaux éditeurs. Atteint de Syphillis, il s’éteindra à New-York à l’âge de 48 ans.

Irving Berlin et Scott Joplin, deux “morts de faim” avec des dons musicaux exceptionnels, une gloire presque séculaire pour le premier, une trajectoire de météorite pour le second. Vous trouverez ci-dessous une sélection de morceaux estampillés “Tin Pan Alley”, une période florissante dans l’héritage musical américain qui s’éteignit avec l’arrivée du phonographe et du cinéma parlant dans les années 20.